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Autorisations d'utilisation de fréquences BLR et collectivités
territoriales : rapport de la mission d'expertise de Daniel Labetoulle, ancien
Président de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat, publiée
par l'ART le 8 mars 2005
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L’ART m’a confié une mission de réflexion juridique sur les conditions
dans lesquelles, en l’état des dispositions législatives, les collectivités territoriales
pourraient, pour développer une offre de services à haut débit, se voir attribuer,
sur le fondement de l’article L. 41-1 du code des postes et des communications
électroniques (CPCE), des autorisations d’utilisation de fréquences pour la boucle
locale radio (BLR). Indépendamment de plusieurs réunions de travail
avec les services de l’ART (service opérateurs et régulations des ressources rares,
service juridique, service collectivités et régulation des marchés haut débit),
je me suis entretenu avec des membres du Collège et divers interlocuteurs extérieurs
(opérateurs, représentants de collectivités territoriales). Les éléments
de réponse aux divers problèmes juridiques identifiés peuvent, me semble-t-il,
être regroupés autour de deux idées principales : -
une collectivité territoriale peut être attributaire et détentrice d’une autorisation d’utilisation de fréquence ; -
mais les modalités d’attribution de cette autorisation ne doivent ni la
favoriser, ni la pénaliser. L’apparence simple de cette formulation ne doit
pas faire illusion : les données juridiques du débat sont complexes et, parfois,
confuses. Elle sont (inévitablement) complexes dans la mesure où plusieurs
corps de règles interfèrent : droit des communications électroniques (CPCE),
droit des collectivités territoriales (CGCT), droit de la domanialité publique,
droit de la concurrence (communautaire et interne). Elles sont parfois (d’une
façon qui aurait dû être évitée) confuses en raison de la rédaction de l’article
L.1425-1 du CGCT, (qui résulte de l’amendement gouvernemental introduit à l’article
50 II de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004) par lequel le législateur a entendu
définir un nouveau régime d’intervention des collectivités territoriales en matière
de réseaux et services locaux de communications électroniques. Ce texte comporte,
indépendamment d’imperfections ou d’imprécisions de rédaction qui en rendent,
souvent, la lecture difficile et, parfois, l’interprétation hasardeuse, deux sources
principales d’ambiguïté : -
alors que l’ancien article L. 1511-6 du CGCT, auquel il est substitué,
figurait dans une partie du code consacrée aux « aides aux entreprises »,
l’article L. 1425-1 prend place dans une subdivision (livre IV du titre I) du
Code consacrée aux « services publics locaux » (et que le chapitre V
qu’il constitue prend la suite du chapitre IV consacré aux « services d’incendie
et de secours »), ce qui suggère que les collectivités territoriales ont,
vis à vis de ces « services publics », un rôle premier et non subordonné
à la carence ou à l’insuffisance de l’initiative privée ; or, et on y reviendra,
le texte de l’article n’autorise les collectivités à fournir des services de télécommunications
aux utilisateurs finals qu’après constat d’une insuffisance « d’initiatives
privées » ; -
alors que, sous réserve de l’ambiguïté qui vient d’être relevée, l’article
L. 1425-1 institutionnalise une forme d’intervention des collectivités territoriales,
il ne prend pas parti sur la détermination de la collectivité (commune, département,
région) attributaire de la compétence qu’il vient de créer ; il a même clairement
entendu ménager toutes les possibilités en utilisant la formule : « les
collectivités territoriales et leurs groupements ». 1.
La possibilité pour une collectivité territoriale d’être titulaire d’une autorisation
d’une utilisation de fréquences : Dans son principe, cette possibilité
ne fait aucun doute et découle clairement de la combinaison de l’article L. 1425-1
du CGCT et des articles L. 41-1 et L. 42-1 du CPCE. Mais, elle est assortie de
diverses limites relatives au champ d’application territorial de l’autorisation
et à l’usage qui peut en être fait. 1.1.
Le principe général selon lequel une collectivité territoriale ne peut
pas exercer une compétence au-delà de son ressort territorial est a priori applicable
ici. On en trouve d’ailleurs un discret écho dans la rédaction de l’article L.
1425-1 du CGCT : « Les collectivités territoriales et leurs groupements
peuvent (…) établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures
et des réseaux ». Il en résulte que, par exemple, une commune ne peut
pas se voir attribuer une autorisation portant sur l’ensemble du département. Cette
règle est complétée par la référence faite aux groupements de collectivités territoriales :
les diverses formes de groupements de communes et, le cas échéant, les « institutions
et organismes interdépartementaux » et les « ententes interrégionales »
prévues, respectivement aux articles L. 5421-1 et suivants et L. 5621-1 et suivants
du CGCT. On verra plus loin les conséquences de cette règle sur la façon
dont l’ART peut déterminer le cadre spatial pour lequel elle envisage d’attribuer
une autorisation. 1.2.
La possibilité d’obtenir, ou de détenir, une autorisation d’utilisation
de fréquences n’équivaut pas nécessairement à la possibilité d’en user librement. La
règle de l’article 1425-1 selon laquelle : «
les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent fournir
des services de télécommunications aux utilisateurs finals qu’après avoir constaté
une insuffisance d’initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs
finals » vaut pour la boucle locale radio comme pour les autres formes de
télécommunications. Son interprétation ne pose pas de difficultés particulières. Indiquons
seulement que si, à la lettre, ces dispositions s’opposent seulement à ce que
qu’en cas d’absence d’insuffisance d’initiatives privées, la collectivité territoriale
exerce concrètement une activité de fourniture de services aux utilisateurs finals
et ne visent pas directement une attribution de licence, une telle attribution
n’aurait guère de sens économique; pour autant, elle ne serait sans doute pas
illégale, la collectivité pouvant, à partir d’une autorisation, « établir »
une infrastructure et exercer une fonction d’opérateur d’opérateurs. Plus
délicate est l’interprétation de la disposition du dernier alinéa du I de l’article
L. 1425-1 selon laquelle : « L’insuffisance d’initiatives privées
est constatée par un appel d’offre déclaré infructueux ayant visé à satisfaire
les besoins concernés des utilisateurs finals en service de télécommunications ».
On peut admettre que l’absence d’ « s » à « appel d’offre »
(constatée depuis que cette phrase a été introduite dans le débat parlementaire),
n’est qu’une faute d’orthographe et qu’il faut lire « « appel d’offres ».
Mais que peut être cet appel d’offres ? De qui doit-il émaner? Sans doute
de la collectivité ; et sans doute aussi les auteurs du texte ont-ils entendu
utiliser la terminologie du Code des Marchés (« déclaré infructueux »).
Mais comment parler de marché d’une collectivité territoriale pour des prestations
qui sont destinées aux « utilisateurs finals » et seront payées par
eux ? Sauf à interpréter le texte comme ne visant qu’une consultation non
formalisée, on voit mal comment l’appliquer sur ce point. 1.3.
La règle, également fixée à l’article L. 1425-1 du CGCT, selon laquelle :
« une même personne morale ne peut à la fois exercer une activité d’opérateur
de télécommunications et être chargée de l’octroi de droits de passage destinés
à permettre l’établissement de réseaux de télécommunications ouverts au public »
pose aussi des problèmes juridiques délicats, qu’il s’agisse de déterminer son
exact champ d’application ou de déterminer ses conséquences dans le cas de la
BLR. 1.3.1. Le champ d’application
et la signification de la règle. 1.3.1.1.
Pour comprendre la signification exacte des termes : « ….chargée de
l’octroi des droits de passage … », il est commode de se référer à la
formulation de l’article 1.1. de la directive 2002/21/CE du 7 mai 2002 que le
législateur de 2004 a entendu transposer. On voit alors qu’il s’agit pour « des
autorités publiques ou locales » de la compétence… «…pour permettre la mise
en place de ressources rares sur, au dessus ou au dessous de propriétés publiques
ou privées … » Si
cette formulation n’est pas parfaitement claire, on voit bien l’intention :
une collectivité territoriale détenant le pouvoir d’autoriser ou de refuser la
mise en place matérielle « sur ses biens, au dessus ou au dessous d’eux »,
d’installations de réseaux, ne peut pas exercer une activité d’opérateur de télécommunications
car on craint qu’elle utilise ce pouvoir d’autoriser pour défavoriser un opérateur
concurrent en lui refusant l’autorisation nécessaire au passage d’une infrastructure
de réseau. En principe, ceci vise en droit français la compétence pour accorder
des permissions de voirie sur les voies publiques (ainsi qu’au dessus, et surtout,
au dessous). Ce n’est en effet que pour les voies publiques qu’existe un régime
juridique d’autorisation permettant de regarder le propriétaire public comme « chargé
de l’octroi des droits de passage » : pour d’autres propriétés publiques,
il n’y a pas de régime juridique distinct de celui directement lié à la qualité
de propriétaire. 1.3.1.2.
Il découle de ce qui précède que cette disposition crée une contrainte pesant
non pas sur toutes les collectivités territoriales, mais sur celles ayant une
compétence de gestionnaire de voirie : les communes et, le cas échéant (lorsque
la compétence communale en matière de voirie leur a été transférée), les groupements
de communes, au titre de la voirie communale ; les départements, au titre
de la voirie départementale ; mais pas les régions (il n’y a pas de voirie
régionale). 1.3.1.3.
La rédaction de l’article L. 1425-1 (moins susceptible que la directive, me semble-t-il,
d’une interprétation moins brutale) conduit à penser que cette règle, manifestement
conçue pour des modes de télécommunications passant par la mise en place (sur,
au dessus ou au dessous des voies publiques) de réseaux au sens le plus concret
du terme (« canalisations…. ») vaut aussi pour la BLR, alors même que
celle-ci n’a pas les mêmes contraintes de déploiement physique. Une distinction
entre ces deux types d’hypothèses serait intellectuellement satisfaisante. Mais,
en l’état du texte, elle serait très hasardeuse. 1.3.1.4.
Une collectivité territoriale investie d’une compétence en matière de voirie ne
peut donc « … exercer une activité
d’opérateur de télécommunications ». Mais que recouvre exactement cette notion
« d’opérateur » ? Il n’y a pas de réponse évidente à cette
question que les débats parlementaires ne contribuent pas à éclairer. Une
lecture interne à l’article L. 1425-1 (et qu’ont faite certains des parlementaires
ayant participé au débat) consiste à considérer : -
que le I de l’article L. 1425-1 fait une distinction entre deux
niveaux d’intervention des collectivités territoriales ; seul, le second
niveau (« fournir des services aux utilisateurs finals ») étant subordonné
au constat d’une insuffisance des initiatives privées ; mais non le premier
(« établir et exploiter … des infrastructures et des réseaux »). -
que cette distinction est implicitement reprise au II de l’article
pour l’application de la règle créant une incompatibilité avec la compétence d’octroi
des droits de passage : cette règle ferait alors obstacle à ce qu’une collectivité
ayant une compétence d’octroi des droits de passage fournisse des services aux
utilisateurs finals, mais lui laisserait la possibilité, non seulement « d’établir »
des infrastructures et des réseaux, mais aussi de les « exploiter ». C’est
à cette première interprétation que je m’étais d’abord arrêté. Une seconde
lecture consiste à rapprocher l’article L. 1425-1 du CGCT et les dispositions
du CPCE, et notamment celle du 15° de l’article L. 32, selon lequel « on
entend par opérateur toute personne physique ou morale exploitant un réseau de
télécommunications ouvert au public ou fournissant un service de télécommunications ».
L’activité d’opérateur évoquée au II de l’article L. 1425-1 serait alors celle
définie au 15° de l’article L. 32. Cette interprétation s’imposerait sans discussion
si le II de l’article L. 1425-1 renvoyait à l’article L. 32 lorsqu’il évoque l’activité
d’opérateur. Mais il n’en est rien, l’article L. 1425-1 ne renvoyant à l’article
L. 32 que dans son I, lorsqu’il énonce que les collectivités territoriales peuvent :
« … établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux
de télécommunications au titre du 3° et du 15° de l’article L. 32…». Le paradoxe
est que l’article L 1425-1 renvoie à la définition d’opérateur de l’article L.
32 (15°) lorsqu’il évoque non la notion d’opérateur, mais celle d’établissement
et d’exploitation d’infrastructures et de réseaux et qu’il n’y renvoie pas ici
lorsqu’il utilise la notion d’opérateur … Il est sans doute raisonnable de
ne pas trop s’arrêter à cette analyse et, en venant au secours du législateur,
de retenir une interprétation uniforme de la notion d’opérateur, qu’elle soit
utilisée par le CPCE ou par le CGCT. On admettra donc qu’une collectivité
territoriale investie d’une compétence en matière de voirie ne peut pas se livrer
à l’activité définie au 15° de l’article L. 32 du CPCE, c’est à dire : « …
exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public ou fournissant
au public un service de télécommunications ». A contrario, la même collectivité
peut « établir » un tel réseau et/ou le mettre à disposition d’opérateurs
. 1.3.2. Ce qui précède vaut, a priori, de la même façon pour toutes les
techniques. On
a pu toutefois se demander si la règle interdisant à une collectivité territoriale
investie d’une compétence en matière de voirie, d’être opérateur, n’avait pas
des conséquences particulières, plus drastiques, en matière de BLR. Je ne partage
pas cette opinion.1.3.2.1. L’idée serait la suivante : pour des techniques
autres que la BLR, l’impossibilité, pour une collectivité territoriale investie
d’une compétence en matière de voirie, d’être opérateur ne met nul obstacle à
ce que cette collectivité finance, établisse, puis mette à la disposition d’un
opérateur un réseau ou une infrastructure qu’elle ne pourrait pas elle-même exploiter.Rien
ne s’oppose en effet à cette répartition des fonctions entre deux personnes morales
distinctes. Mais une telle dualité d’intervenants ne serait pas transposable à
propos d’une autorisation d’utilisation de fréquence car les règles spécifiques
de la domanialité publique (et une autorisation d’utilisation de fréquence est
une autorisation domaniale) feraient obstacle à son exploitation par une personne
autre que son détenteur. En d’autres termes : -
une collectivité territoriale investie d’une compétence en matière
de voirie ne peut pas exploiter une autorisation d’utilisation de fréquence ; -
et parce que les qualités de détenteur et d’exploitant de l’autorisation
seraient indissociables, l’impossibilité d’exploiter l’autorisation priverait
la collectivité de la possibilité d’en être seulement titulaire. 1.3.2.2.
Mais les règles de la domanialité publique n’ont pas une telle portée. Le caractère
personnel de l’autorisation domaniale fait obstacle à ce que le titulaire de celle-ci
en dispose librement, à ce qu’il la cède ou la « sous-loue » à un tiers
sans l’aval de l’autorité domaniale. En revanche, ce caractère personnel ne fait
pas obstacle à ce que, avec l’accord de l’autorité domaniale, le titulaire
d’une autorisation en confie l’utilisation à un tiers ou la partage avec lui (que
l’on songe, par exemple, à la façon dont, dans un port, le domaine public de l’Etat,
remis à l’autorité gestionnaire – port autonome ou chambre de commerce – peut,
par des contrats de « sous-location », être occupé par divers utilisateurs ;
de même, pour le domaine autoroutier de l’Etat, la société concessionnaire met
à la disposition de tiers (stations-service, débits de boissons …) les emplacements
nécessaires à leur activité. 1.4.
Sans doute convient-il, à ce stade, de dépasser le cas de l’hypothèse où
une collectivité territoriale serait contrainte, du fait de la compétence en matière
de voirie dont elle serait investie, de renoncer à prolonger par une activité
d’opérateur l’autorisation d’utilisation de fréquence dont elle serait titulaire.
En vérité, les collectivités territoriales qui souhaitent obtenir une telle autorisation
n’envisagent pas de l’exploiter elles-mêmes ; elles estiment n’en avoir pas
la compétence technique et sont spontanément déterminées à confier cette exploitation
à un opérateur. C’est dans ce cadre plus général qu’il faut préciser dans
quelles situations juridiques se trouveraient respectivement, le titulaire de
l’autorisation et l’exploitant. Le titulaire ne pourrait pas mettre l’autorisation
à la disposition d’un tiers sans l’accord de l’autorité domaniale. Celle-ci pourrait
subordonner son accord à un agrément de l’exploitant. Le caractère précaire et
révocable de l’autorisation domaniale aurait ses effets prolongés vis à vis de
l’exploitant. L’autorité domaniale pourrait mettre fin à l’autorisation pour tirer
les conséquences des conditions dans lesquelles elle serait utilisée par l’exploitant.
Le titulaire demeurerait débiteur de la redevance d’occupation. 1.5.
On pourrait, il est vrai, soutenir que certaines des conditions mentionnées
à l’article L. 42-1 du CPCE pour l’octroi des autorisations, se réfèrent
(implicitement) à une activité d’opérateur, de telle sorte qu’un candidat n’ayant
pas la possibilité juridique ou l’intention d’intervenir comme opérateur ne pourrait
pas être candidat à l’obtention d’une fréquence : ne pourrait être candidat
(ou titulaire de l’autorisation) que le futur utilisateur (opérateur). Cette
interprétation ne serait pas radicalement contraire à la lettre, ni à l’esprit
de l’article L. 42-1 (qui toutefois ne me paraît en rien l’imposer). Mais elle
serait à peu près incompatible avec l’intention du législateur de l’article L.
1425-1 du CGCT, qui tout à la fois, entend permettre l’intervention des collectivités
territoriales, mais n’entend que subsidiairement les ériger en opérateurs. 2.
Les conditions d’attribution des autorisations 2.1.
Les principes applicables. L’article
L. 42-1 du CPCE dispose : « L’Autorité de régulation des télécommunications
attribue les autorisations d’utilisation des fréquences radioélectriques dans
des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires et en tenant
compte des besoins d’aménagement du territoire ».Ces termes sont, pour l’essentiel,
repris du droit communautaire (article 5 de la directive 2002/20/CE du 7 mars
2002, article 9 de la directive 2002/21/CE du même jour) et se retrouvent au 2ème
alinéa de l’article L. 1425-1 du CGCT. Ils expriment ou prolongent les
principes généraux du droit de la concurrence.Ils ne sont écartés, ni par le rôle
attribué aux collectivités territoriales, ni par les particularismes du droit
de la domanialité publique. S’agissant du rôle des collectivités territoriales,
le 1er alinéa de l’article L. 1425-1 du CGCT dispose expressément que
leur intervention « … respecte le principe d’égalité et de libre concurrence
sur les marchés des communications électroniques ». S’agissant du droit
de la domanialité publique, il incorpore le droit de la concurrence et le combine
avec les autres règles domaniales (« … s’il appartient à l’autorité administrative
affectataire de dépendances du domaine public de gérer celles-ci , tant dans l’intérêt
du domaine et de son affectation, que dans l’intérêt général, il lui incombe en
outre lorsque, conformément à l’affectation de ces dépendances, celles-ci sont
le siège d’activités de production, de distribution ou de services, de prendre
en considération les diverses règles, telles que le principe de la liberté du
commerce et de l’industrie ou l’ordonnance du 1er décembre 1986, dans
le cadre desquelles s’exercent ces activités ; qu’il appartient alors au
juge de l’excès de pouvoir … de s’assurer que ces actes ont été pris compte tenu
de l’ensemble de ces principes et de ces règles et qu’ils en ont fait, en les
combinant, une exacte application » ; Conseil d’Etat. 26 mars 1999.
société E.D.A. p. 107).2.2. Il
découle de ce qui précède qu’en cas de candidatures concurrentes pour l’attribution
d’une même autorisation de fréquences, une collectivité territoriale ne peut se
prévaloir d’aucune priorité, ni d’aucune préférence.Et ce qui est vrai de la candidature
« directe » d’une collectivité territoriale vaudrait aussi pour la candidature
d’un opérateur qui se prévaudrait de ce qu’il est titulaire d’une délégation de
service public consentie par une collectivité territoriale.Cette idée ne souffre
en elle-même aucune discussion. Mais il convient peut-être de préciser son exacte
portée.Elle ne signifie pas que dans l’appréciation des mérites d’une candidature
émanant (directement ou indirectement) d’une collectivité territoriale, il n’y
ait pas lieu (si du moins on se place par hypothèse, dans le cadre d’une procédure
comparative) de tenir compte de ce que cette candidature pourrait être regardée
comme répondant mieux que d’autres à des considérations d’intérêt général, et,
notamment à des considérations d’aménagement du territoire.Bien au contraire,
refuser par principe de tenir compte d’un tel élément, serait juridiquement erroné.
L’article L. 42-1 du CPCE se réfère expressément, à propos de la délivrance d’autorisation
d’utilisation des fréquences, aux « besoins d’aménagement du territoire » ;
et tout l’article L. 1425-1 est sous-tendu par l’idée que l’intervention des collectivités
territoriales répond à des considérations d’intérêt général.Mais deux points doivent
être soulignés.Tout d’abord, les considérations et les objectifs dont une candidature
émanant d’une collectivité territoriale est normalement porteuse ne sont pas les
seuls qui doivent être pris en compte pour l’attribution de fréquences. Ainsi,
l’article L. 42-1 se réfère, on l’a dit, aux « besoins d’aménagement du territoire » ;
mais l’article L. 42-2, lorsqu’il évoque la nécessité de procéder à une sélection,
lorsque les candidatures sont plus nombreuses que les fréquences disponibles,
renvoie à l’ensemble des conditions d’utilisation mentionnées à l’article L. 42-1
ainsi qu’aux objectifs mentionnés à l’article L. 32-1.Autrement dit,
les considérations d’intérêt général que l’ART doit prendre en compte ne se réduisent
pas à celles correspondant plus spécifiquement à la vocation des collectivités
territoriales.Ensuite, on commettrait une erreur de droit en postulant comme une
présomption quasi irréfragable, qu’une considération telle que l’aménagement du
territoire est, par nature, mieux satisfaite par la candidature d’une collectivité
territoriale. En d’autres termes, y compris pour un tel critère, c’est par rapport
aux caractéristiques concrètes et effectives d’un dossier de candidature, et non
par référence à la personne juridique du candidat, qu’il faut raisonner. 2.3. Si
les collectivités territoriales ne peuvent ainsi se prévaloir d’aucun régime préférentiel,
elles ont droit à ce que la vocation qui leur a été reconnue par le législateur,
au travers de l’article L. 1425-1, ne soit pas méconnue ou contournée. Deux
points doivent être évoqués. 2.3.1.<span
STYLE='mso-tab-count:1'> Le CPCE ne limite pas la liberté de l’ART de
définir la zone géographique où une autorisation d’utilisation de fréquences
va être proposée. Le CGCT, pour sa part, ne répartit pas entre la commune,
le département et la région la fonction prévue par l’article L. 1425-1.Mais, en
affirmant la vocation des collectivités locales en matière de « réseaux et
services locaux de télécommunications », il postule que les modalités d’attribution
des autorisations d’utilisation de fréquences ne doivent pas avoir pour effet
d’écarter radicalement du jeu ces collectivités. Il en découle que les autorisations
ne doivent pas être proposées dans un cadre territorial auquel les collectivités
ne pourraient pas accéder : or, ainsi qu’on l’a dit précédemment, les collectivités
territoriales ne peuvent pas déployer leur activité en dehors de leur ressort
territorial.Ce raisonnement conduit sans doute à écarter l’hypothèse où il serait
envisagé d’attribuer une autorisation dans un cadre spatial qui ne coïnciderait
avec aucun ressort de collectivités territoriales.Il conduit aussi à écarter l’hypothèse
où il n’y aurait pas d’attribution en dehors du cadre national : les collectivités
territoriales ne peuvent pas exercer de compétence dans un tel cadre.En revanche,
rien ne s’oppose à ce que le cadre retenu soit celui d’un groupement de collectivités
territoriales. 2.3.2.<span
STYLE='font:7.0pt "Times New Roman"'>
La prise en considération de la vocation attribuée par le législateur aux
collectivités territoriales a t’elle une incidence sur le choix du mode de sélection ?
En d’autres termes : fait-elle obstacle au système dit des « enchères » ? Indépendamment
de la prise en considération des données propres aux collectivités territoriales,
une remarque préalable sur la portée de l’article L. 42-2 du CPCE paraît nécessaire.
Selon ce texte : « … La sélection se fait par appel à candidatures sur
des critères portant sur les conditions d’utilisation mentionnées
à l’article L. 42-1 ou par la contribution à la réalisation des
objectifs mentionnés à l’article L. 32-1 (…). Le ministre peut prévoir que l’un
des critères de sélection est constitué par le montant de la redevance … ».Ces
dispositions ne permettent pas de mettre en place un système où le montant de
la redevance proposée déterminerait directement et automatiquement l’attributaire
de la fréquence. Elles imposent une pluralité de critères. Il serait même, sans
doute, hasardeux de tenir le montant de la redevance comme un critère très nettement
prépondérant. La rédaction du texte le fait plutôt apparaître comme un critère
additionnel (ce qui ne veut pas dire : subsidiaire) à ceux correspondant,
alternativement : -
aux « conditions » multiples mentionnées à l’article L. 42-1 ; -
aux « objectifs », eux aussi multiples, mentionnés à l’article
L. 32-1 ; Ceci précisé, un critère, combiné à d’autres, fondé sur le
montant de la redevance que les candidats s’engagent à verser ne paraît pas incompatible
avec une participation des collectivités territoriales à une mise en concurrence.Sans
doute, le régime administratif et financier des collectivités territoriales constitue-t-il
à cet égard une forme de handicap. Mais je n’y vois pas de véritable incompatibilité
qui serait de nature à rendre juridiquement impossible (ou, à tout le moins, très
fragile) le recours à un tel dispositif.En guise de conclusion...Au long des pages
qui précèdent j'ai souligné les imperfections des textes, les difficultés de leur
interprétation, les contraintes de leur application. Avant
de terminer je voudrais cependant -sans rechercher un artifice rhétorique - exprimer
une conviction plus souriante. Aussi
imparfait soit-il -et je me surprends parfois à penser : du fait de cette imperfection
-, aussi vigilant que doive être son maniement ( qui ne sera pas toujours à l'abri
d'aléas contentieux), l'état du droit existant n'est pas principalement un carcan
pour l’action.Parce qu'il doit combiner, concilier,
des données diverses et parfois divergentes, parce qu'il exprime des équilibres
ou, à tout le moins, des compromis qui s'accommoderaient mal de pratiques ou de
positions trop tranchées, ce droit a une forme de plasticité qui, d'une façon
qui peut s'avérer féconde, est un appel à l'imagination et à l'empirisme et peut
s'adapter à la diversité des situations et projets des collectivités territoriales. Paris,
le 2 mars 2005
Daniel LABETOULLE |